jeudi 10 janvier 2013

Et pourtaaaant, que la montagne est beeelle...

Au soir du réveillon, j'ai eu une terrible angoisse. Tout allait pourtant pour le mieux : tandis que je sirotais une coupe de champagne californien, les invités les moins éméchés entamaient la cinquième chenille de la soirée pendant que ceux qui avaient trop bu dormaient dehors (-15 °C, pas de quoi enrhumer un caribou). Je papotais dans un anglais approximatif, encore inconscient du danger qui me guettait, quand soudain la personne en face de moi me posa la question suivante : "And you, have you made any New Year's resolutions?". Et là, l'angoisse me prit à la gorge.

En effet, que répondre (et surtout comment ça se dit en anglais déjà) ? Car c'est bien là le problème : je mène une vie absolument saine et équilibrée. Je ne bois pas, je ne me fume pas, je ne me drogue pas, je fais du sport... Les rageux disent que je ne sais pas m'amuser.


Portrait - Une statue datant de l'époque où
j'étais modèle de nu aux Beaux-Arts de Paris

Mais alors que dire ? Qu'est-ce que ma vie avait besoin de changer par-dessus tout ? Ne trouvant pas de réponse satisfaisante, je décidais de détourner l'attention de mon interlocuteur en lui jetant mon verre de champagne au visage (je ne l'aurais pas fini de toute façon), et tandis qu'il tentait d'échapper à l'étreinte acide des bulles sur ses yeux endoloris, j'attrapais mon manteau et le premier bus qui passait. Sur le chemin du retour, au détour d'un virage sur les hauteurs du Nose Hill Park, alors que mon regard bleu acier (si si !) se perdait dans l'horizon, elles m'apparurent : les Montagnes Rocheuses.

Je vous l'avais dit dans le billet précédent, les Montagnes Rocheuses n'ont pas qu'équivalent dans le monde : s'étendant sur près de 5000 km, elles naissent dans le désert du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis et finissent dans les glaces du Nord de la Colombie-Britannique au Canada. En Alberta, elles abritent de nombreux parcs naturels et stations de ski (une étape de la Coupe du Monde de ski alpin de 2010 a eu lieu à Lake Louise en Alberta). Quatre mois que je les voyais, ne serait-ce que lorsque que je revenais de l'université, j'étais même parti crapahuter quatre ou cinq fois sur ses chemins sinueux, mais la lumière de l'an nouveau me les faisait redécouvrir. Que n'avais-je plus souvent levé le nez de mes livres d'écologie pour aller mettre en application toutes ces connaissances ? Que n'avais-je plus fréquemment troqué les tours du centre-ville pour les cimes nuageuses du parc de Banff ? Et que n'avais-je une fois ou deux déserté les salles de classes aux néons souffreteux pour les prairies herbeuses et ensoleillées des sommets de Kananaskis où nul Hollandais en short n'a jamais foulé le pied, contrairement à l'élan, qui lui seul sait où trouver le torrent caché où il se désaltérera avant de profiter d'un repos bien mérité aux côtés de l'onde en écoutant le chant des pygargues à tête blanche et des motoneiges. Oui, pourquoi ?!


Ma résolution pour 2013 était toute trouvée : je passerai plus de temps dans les montagnes. Et c'est fort de ce nouvel enthousiasme que je me suis dit que j'allais vous parler d'elles, à défaut de vous parler d'aviation (vous avez saisi la blague ?).

Car comme à mon habitude, j'exagère un tantinet : je me suis quand même déjà baladé dans les Rocheuses, et même plusieurs fois. Ma première vraie découverte à mon arrivée au Canada en septembre était d'ailleurs une petite balade au parc national de Banff. J'étais accompagné pour cette escapade d'un ami que nous appellerons John Dillinger en attendant d'avoir son accord pour divulguer sa véritable identité sur ce blog, un Français établi à Calgary depuis une quinzaine d'années et avec qui j'ai été en contact au moment de préparer mon voyage.

Parc national de Banff - Si vous croyez que c'est facile de faire
de bonnes photos par un temps pareil.

Oui, par un temps pareil, car manque de chance il a plu toute la journée (c'est assez rare pour le souligner d'après John). Ce qui fait que nous avons dû écourter notre excursion, et c'est vraiment dommage vu que le parc de Banff est l'un des plus beaux du coin.

Le lac Moraine - C'est beau même sous la pluie.

Cliquez pour agrandir - Sinon vous ne verrez pas le canoë au loin.

Je ne sais pas si c'est l'émotion de la découverte, mais j'ai vraiment eu du mal lors de cette première sortie. Elle a débuté sur un paisible chemin bordant le lac, où l'on pouvait voir des canoës empilés les uns sur les autres et des chipmunks gambadant entre les pierres (mais si, les petites créatures brailleuses et énervantes dans Alvin et les Chipmunks, et ben c'est eux !).


Chipmunks - Heureusement, celui-ci ne chante pas.

En nous éloignant, nous sommes tombés sur un panneau nous avertissant de la présence de grizzlis dans les parages.

Ceux-là ne viennent pas de Slovénie
(ceci est une private joke).

Au-delà du folklore et de l'exotisme associés à ces bestioles (bien qu'étant moins grosses qu'un ours), les grizzlis sont extrêmement dangereux. Mais mon esprit étant à ce moment-là totalement grisé par la frénésie de la découverte, j'espérais secrètement que nous puissions en apercevoir, mais en m'abstenant sagement d'en faire part à John, qui aurait bien pu décider de me ramener à Calgary sachant le danger que je représentais.

Subitement, après ce début tranquille, nous avons entamé une longue série de lacets bien abrupts et dont nous ne voyions pas la fin tant ils se ressemblaient tous. Peu à peu, la vue se dégagea, les grands conifères laissèrent place à des sortes de bouleaux, qui prenaient une belle couleur dorée à cette époque de l'année, le lac Moraine réapparût entre les arbres, et nous sommes entrés dans un de plateau qui, d'après John, constituait un chemin de douanier entre Calgary et Vancouver (1000 km, c'est un sacré beau chemin). Mais la pluie ne désirant pas s'arrêter, nous avons fait demi-tour.


Sur la route qui nous ramenait à Calgary, j'ai pu constater une fois de plus que le peuple canadien n'est décidément pas un peuple comme les autres.


Vroum vroum - Ça a les dimensions d'un camion, l'allure d'un camion,
les roues d'un camion, mais ce n'est pas un camion.

Ceci est un bus complètement modifié pour lui permettre de rouler sur les glaciers. Oui oui, vous avez bien lu: sur-les-glaciers. D'après John, pour un Canadien, c'est l'équivalent du petit train pour touristes, néanmoins je n'aurais aucune honte à monter dans cet engin qui, il faut l'avouer, après sa transformation avait perdu tout ce qui faisait de lui un bus, cet air pataud et terriblement ennuyeux, pour devenir une espèce de monstre mécanique totalement badass prêt à prendre les cimes les plus inaccessibles d'assaut.

Ainsi s'est achevée cette première sortie, et même la pluie ne m'a empêché de revenir très heureux de cette première confrontation avec le Canada sauvage.

Par la suite, il y eut une ou deux autres excursions dans les Rocheuses, qui, si elles étaient sans nul doute sympathiques, étaient tout de même moins spectaculaires (et puis j'ai aussi un peu oublié de prendre des photos). Je vous propose néanmoins ces deux-là qui devraient faire plaisir à mon paternel.

Contrefaçon - Malgré ses airs de carte postale, ce lac
est complètement artificiel.

Les responsables - La petite installation hydroélectrique à l'origine
du lac présenté au-dessus.

Je vous propose maintenant de faire une ellipse jusqu'à la mi-novembre, quelque par dans la région de Kananaskis.

Ne me demandez pas de la situer, nous sommes partis très tôt le matin et j'ai dormi durant le trajet. Les Indiens Kananaskis ont donné leur nom à ce territoire qui est désormais un parc naturel. On ne compte à l’heure actuelle plus qu'environ 250 habitants pour un secteur grand comme la Haute-Savoie, soit un peu plus de 4000 km² (le Canada, c'est vraiment une autre échelle, je vous en parlerais peut-être dans un prochain billet).

C'est ainsi qu'à peine réveillé, je me retrouve dans le froid, la neige et le vent, à me demander  ce que je pouvais bien avoir dans la tête au moment d'accepter d'aller faire cette foutue balade. Première constatation : c'est beau.

Guerre et paix - Au premier plan, une stèle à la mémoire d'aviateurs morts au cours de leur entraînement pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Si vous faites attention, vous remarquerez de petites taches rouges au-dessus de la plaque commémorative : ce sont des coquelicots (en plastique) que l'on vend le 11 novembre en souvenir de tous les morts de toutes les guerres impliquant le Commonwealth (et pas seulement durant la Première Guerre Mondiale) : c'est le jour du Souvenir (ou Remembrance Day).

Mais au bout de quelques secondes, le baiser sec et glacé du vent sur mes joues délicates de poupon de pub Pampers™ me rappelle à la réalité, d'autant que mes compagnons de route sont déjà prêts. Je suis cette fois accompagné de quelques membres du club de sport en extérieur de l'université de Calgary.


J'en profite pour étrenner un pantalon de marche et des sortes de crampons amovibles que j'ai achetés avec 50% de réduction au Sport Chek du coin (le Décathlon local) grâce à mon colocataire qui y travaille.

Crampons - Ça n'a l'air de rien, mais c'est efficace.

En dehors du froid, le temps avait l'air parfait, ça nous promettait donc une bonne balade. Ce fut alors le grand départ, pour une boucle de 25 km dans la neige fraîchement tombée. La première dizaine de kilomètres, qui s'est passée entre les arbres, était plutôt tranquille car peu pentue, et le chemin avait été déjà bien dégagé par nos prédécesseurs.


Tout à coup, alors que nous nous étions déjà bien élevés au-dessus de la vallée, notre guide bifurqua dans une petite clairière. Et là, Ainsi parlait Zarathoustra en musique de fond n'aurait pas été du luxe, car ce que je vis était tout simplement grandiose (et je maudis mon incapacité à prendre de bonnes photos).

Dans la valléééééééée ! - Au fond se trouve une petite rivière gelée.




C'est au cours de cet instant d'émerveillement que j'ai appris qu'il ne faisait vraisemblablement pas partie de la culture canadienne de connaître le nom des montagnes. Autant un Savoyard de souche pourra nommer tous les cailloux et chemins des Alpes, autant notre guide, qui était pourtant un habitué de la région, n'a pas été capable de me donner le nom d'un seul sommet, et n'avait d'ailleurs pas l'air d'y attacher la moindre importance. Nous avons alors repris notre route, émaillée d'étranges visions ici et là.

Ça ne ressemble à rien - Mais je trouvais ça joli (je me rends compte
maintenant que j'ai peut-être eu tort).

Bois de cervidé - Ils pourraient quand même ranger leurs affaires.

Soudain, je reçus une boule de neige dans la tronche. C'était notre guide qui voulait attirer mon attention : le sommet était tout proche. Et là, alors que nous marchions à l'ombre des grands arbres depuis bientôt trois heures, mais surtout à l'abri du vent, les derniers mètres sur le sommet dégarni se sont fait dans un froid à faire geler le mercure dans son thermomètre, en équilibre sur des plaques de glace bien glissantes.

 Comment je les ai tracés - Oui mais en fait...

...Y'avait encore lui devant - C'est un ancien soldat.
Et allemand en plus, alors faut pas l'emmerder.





Photo de groupe - Je remercie Stephen Harper, premier ministre fédéral
du Canada, pour m'aider à préserver mon identité secrète.

On a vite décarré après la photo car le vent soufflait à décorner un élan.

Après une petite pause casse-croûte, nous avons continué notre périple sur la crête. Notre progression était plus lente à cause du froid mais aussi de la neige, qui alternait entre de la poudreuse dans laquelle on s'enfonçait jusqu'aux genoux et de la pure glace, et là j'étais bien content d'avoir mes crampons à 50%.


Mais perché dans les montagnes, avec les deux vallées de part et d'autre, je me suis rendu compte de quelque chose d'assez inhabituel pour un Français comme moi : 1 - à quel point ce pays est plat, car les Rocheuses et globalement les montagnes ne couvrent qu'une infime partie du Canada (j'avais déjà eu cette impression depuis l'avion) et 2 - à quel point je pouvais voir loin à l'horizon !

Horizon - Essayez de la voir en taille réelle (faites un clic droit sur l'image et cliquez sur "Ouvrir l'image/le lien
dans un nouvel onglet"). Pour que vous vous rendiez bien compte, ces immeubles sont à plus de 100 km de distance.

Nous avons poursuivi pendant quelques kilomètres, puis nous nous sommes aperçus que terminer la boucle nous prendrait trop de temps. Nous avons donc rebroussé chemin, mais nous avions déjà vu la plus belle partie de la balade, c'était donc l'occasion de l’admirer une deuxième fois.

Cette photo n'est pas de moi - Si vous dites qu'elle est meilleure que les autres,
je vais très mal le prendre.

Photo vaguement artistique qui se passe de commentaire


Nous sommes arrivés aux voitures bien fatigués (22 km au final) et bien contents d'en avoir fini, vu que le soleil ne nous avait pas attendus pour se faire la malle. Sur le chemin du retour, mes compagnons de route m'ont fait découvrir un excellent groupe de rock canadien, The Tragically Hip, qui ressemble à du Creedence Clearwater Revival, mais avec un chanteur qui aime bien faire des vibratos comme Eddie Vedder du groupe Pearl Jam.

Bref, voilà le récit (qui ne le fut pas) de mes quelques périples en montagnes. Vous comprenez mieux maintenant mon désir d'y retourner, et j'ose espérer que mes modestes talents littéraires (que j'aime cacher derrière un style faussement recherché) vous ont permis de faire un petit bout de chemin en ma compagnie. S'il y a bien quelque chose à retenir, c'est que ce pays ne manque pas de merveilles, pour peu qu'on connaisse les bonnes personnes.

Pour ma part, j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce billet qui m'a donné l'occasion de me remémorer ces moments agréables. Croisons les doigts pour que ça me motive pour tenir ce blog avec plus d'assiduité (genre !). A la prochaine !