lundi 19 août 2013

Long time no see

Croyez-moi, je ne vous ai pas oubliés.

Ce manque de sérieux m’a même pas mal tourmenté au cours des derniers mois. Je sais que c’est lâche de se décharger de ses responsabilités sur les autres, mais les aléas de la vie (qui ne sont pas toujours négatifs d’ailleurs) m’ont tenu éloigné de ce blog à partir de la fin mars. Ajoutez à cela la tension montante alors que la date du retour approchait et l’anxiété à propos de mes résultats et de la poursuite de mes études et vous comprenez alors mieux le pourquoi de ce grand silence.

Mais maintenant que je suis de retour depuis bientôt trois mois et que les choses se sont posées, il est temps de faire un petit bilan, avant de refermer définitivement les pages du souffle du Chinook.


Le temps passe et beaucoup de choses ont changé
- Comment disent les Nèg' Marrons

Je suis parti car j'avais besoin d'un changement profond. J'en avais assez de tourner en rond, je devais casser mes petites habitudes, voir des gens et des lieux différents. J'avais parfois l'impression que ce que je faisais était inutile. Mais comment y parvenir dans un environnement où tout semble familier, où il restera toujours quelque chose ou quelqu'un qui me sera familier ? Alors je suis parti. J'ai mis un petit coup de collier pour préparer mon voyage, puis j'ai laissé les choses se dérouler d'elle-même. Seul dans un pays où tout m'était inconnu, je n'avais d'autres choix que d'aller vers de nouvelles personnes, essayer de nouvelles activités, voir de nouveaux endroits.

Je n'ai pas été déçu. J'irai presque jusqu'à dire que j'ai eu l'impression de revivre. Cette liberté de faire ou voir ou dire, sans craindre les a priori, m'a permis de faire des rencontres magnifiques. J'ai dit "Oui" à des opportunités auxquelles j'aurai peut-être dit "Non" quelques mois auparavant. Je pense ne m'être jamais senti aussi heureux que durant cette année, habité d'une toute nouvelle énergie qui m'a porté chance dans tout ce que j'ai entrepris et qui, à elle seule, justifie cette année passée loin du cocon familier et rassurant.

Je ne vous ennuierai pas plus avec mes épanchements introspectifs, mais je ne pouvais pas ignorer ce chapitre dans un bilan de mon voyage.

Ce voyage, ç'aura aussi été une réussite sur le plan scolaire. Je ramène dans mes bagages des résultats supérieurs à ceux engrangés ces dernières années ainsi qu'une aisance en anglais que je n'aurai jamais eue même après des années de cours si j'étais resté en France. J'ai non seulement eu la chance de profiter des infrastructures somptueuses de l'université de Calgary, mais aussi de découvrir une approche sensiblement différente d'aborder mes études qui m'a amené à penser autrement. Ça a pu se traduire concrètement lorsque j'ai été confronté à des exercices présentant des cas de figure assez peu communs en France (ex : prendre en compte qu'en hiver la température ne tombera pas à -20°C mais à -50, penser que les ours bruns ne sont pas en danger mais parfois plutôt des menaces pour l'Homme...) ou plus subtilement quant aux méthodes utilisées pour répondre à ces questions. En tout cas, je n'ai aucun doute sur le bien que cela m'apportera dans la poursuite de ma formation, et c'est déjà peut-être le cas puisque j'ai été admis dans la suite de mon Master après une sélection assez ardue.

C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que j'encourage vraiment ceux qui en ont l'opportunité de faire la même chose d'y aller sans hésiter. Avec les moyens mis a disposition (notamment le financement, qui est souvent le point le plus problématique), c'est désormais une expérience géniale à la portée de tous.

Et maintenant, que faire ? D'abord passer à autre chose, car il ne faut pas que je perde de vue qu'il reste encore beaucoup à faire durant mes études. Et si j'ai laissé beaucoup d'amis là-bas dans le Grand Nord, il y a un tas de gens qui m'aiment ici et dont je vais me faire un plaisir de pourrir les après-midi à coup d'anecdote et de revue de photos. Mais un jour y retourner, peut-être. La vie est, paraît-il, un éternel recommencement.

Merci à tous de m'avoir lu, merci d'avoir apprécié ou non, mais au moins d'avoir rendu ce blog vivant malgré mon manque d'assiduité. Je referme à présent définitivement la dernière page de ces aventures canadiennes. Pendant ce temps, le Chinook continue de souffler et lui, contrairement à ces lignes, ne connaîtra pas de fin.


Neil McCandless

jeudi 23 mai 2013

Je suis rentré

Je suis rentré.


I'm back - Bitches!

Pas mal d'occupations extra-bloguesque m'ont retenue, d'où mon silence prolongé. Aussi, pour ne pas poster inutilement, je vous annonce la suite du programme : d'abord un pot-pourri de toutes les choses dont je n'ai pas parlé auparavant et qui méritent d'être mentionnées (avec des photos), suivi d'un bilan sur cette année riche en expériences (ça devrait arriver plus tard durant l'été, le temps de laisser décanter).

A plus tard !

lundi 11 mars 2013

Quand on arrive en ville

Contrairement à ce que j'ai dépeint jusque-là du Canada, il n'y a pas que des montagnes et des forêts. Enfin si, environ 80% de la population est concentrée sur 16 019 km² de ville (la taille de la Franche-Comté), ce qui équivaut à peine à 0,2% du territoire entier [1]. Mais ce n'est pas là où je voulais en venir.

Aujourd'hui, j'ai décidé de changer radicalement de décor par rapport à la dernière fois : précédemment, je vous avais parlé de Calgary, l'endroit situé à côté des Montagnes Rocheuses. Aujourd'hui je vais parler de Calgary la ville. Et pas n'importe quelle ville : ni plus ni moins que la ville la plus riche de la province la plus prospère du Canada. Ici, tout n'est que banques, compagnies pétrolières et avocats d'affaires.


Centre-ville - Cette photo contient 10% de verre, 20% de béton, 20% d'acier
et 50% de costumes Armani et de tailleurs Chanel.

Et la culture, me direz-vous ? Et bien... Il faut se lever tôt pour la trouver. Assez peu de cinéma pour une si grande ville, des galeries d'art bien planquées dans des bâtiments trop petits pour y ouvrir une société de courtage en assurance et pas beaucoup de musées (j'en ai compté deux jusqu'à présent). Mais il faut tout de même reconnaître une chose : s'il n'y a pas beaucoup de lieux dédiés à l'art, quand ils y organisent un évènement, il ne font pas les choses à moitié. Ce mois-ci, j'ai donc pris la liberté de vous parler de deux sorties plutôt instructives, effectuées en janvier et en février, l'une dans ce qui doit être le plus petit musée du monde (mais avec la concentration en millions de dollars la plus élevée de l'Univers) et l'autre lors de la célébration du Nouvel An chinois de la ville de Calgary.

Acte I - Andy, dis-moi oui
Je ne sais pas si vous savez, mais j'ai une tante conservatrice de musée (Musée Géo Charles, à Échirolles en Isère, allez-y c'est excellent). Elle en est très contente, mais son imagination et les ambitions qu'elle a pour son musée sont souvent bridées par la petitesse de lieux. Et bien je pense que le Museum of Contemporary Art (ou MOCA) à Calgary doit faire à peu près la taille du placard à balai du musée de ma tante.

Ce lieu minuscule est un exemple extrême d'optimisation de l'espace : il est situé dans le creux d'un des piliers qui soutiennent la mairie de Calgary. C'est un petit bâtiment triangulaire à l'entrée particulièrement bien cachée, sans doute pour filtrer les visiteurs les moins motivés et n'y admettre que la crème de la crème, du genre de ceux qui corrigent les guides lorsqu'ils se trompent dans les dates. Et le 12 janvier dernier à 20h, je ne m'y rendais pas tout à fait par hasard : je m'apprêtais à assister au vernissage de l'exposition consacrée à une œuvre du prolifique Andy Warhol, j'ai nommé "The Athlete Series".

Cette série de 10 photos prises et retravaillées par le grand Andy est une commande effectuée au cours des années 70 par un collectionneur, Richard Weisman. Elle est constituée de 10 portraits des plus grands sportifs de l'époque. Ce détournement/réflexion sur la place et le pouvoir des icônes modernes que sont les athlètes s'inscrit bien dans la continuité du travail de l'artiste. Il faut cependant noter que c'est le commanditaire et non Warhol lui-même qui choisira les modèles, Warhol n'étant, d'après Weisman, "pas capable de différencier un ballon de football d'une balle de golf". On estime la valeur de la série à (inspirez) 5,682,500 dollars [2] (expirez), une valeur pharaonique qui explique qu'elle a été volée plusieurs fois, c'était donc de l'aveu du conservateur lui-même une véritable chance de pouvoir l'admirer (si vous voulez en savoir plus, allez voir ce site, attention c'est en anglais).

Et c'est ainsi que moi, petit étudiant vivant principalement aux crochets de mes parents et accessoirement ceux de la société, me retrouvais avec 5 millions de dollars accrochés au mur et la  crème de la belle société calgarienne rassemblés dans la même pièce. Là encore, les organisateurs avaient fait au mieux pour optimiser l'espace réduit. Après avoir contrôlé mon invitation d'une manière désinvolte (je pense que l'Académie française devrait songer à ajouter le synonyme "canadien" aux mots "désinvolte", "accueillant" et "maladivement poli"), le personnel d'accueil me fit entrer dans une grande tente d'où s'échappait une curieuse mélopée. A l'intérieur, des jeunes gens branchés sirotaient des bières et discutaient, pendant qu'un guitariste et un DJ jouaient une musique planante et vaguement dépressive qui me rappelait un peu Massive Attack. Je me faufilais hors de la tente, ne me sentant pas assez branché pour rester.

J'entrais enfin dans le musée, et Elles étaient là. L'assistance se tenait religieusement en cercle autour de ces 10 photos. Ma première réaction, sans aucune pertinence artistique ni aucune analyse psychologique de l'œuvre, fut de me dire qu'elles étaient bien plus grandes que ce que j'avais imaginé.

The Athlete Series - De gauche à droite et de haut en bas : O.J. Simpson, Kareem Abdul-Jabbar, Mohamed Ali,
Rod Gilbert, Pelé, Tom Seaver, Chris Evert et Willie Shoemaker. Jack Nicklaus et Dorothy Hamill sont hors champ.
N'hésitez pas à chercher sur Google pour admirer l'œuvre dans de bonnes conditions.

Autour de moi, les visiteurs formaient un intéressant mélange d'amateurs curieux et discrets tels que moi et de personnages hauts en couleurs, au rire bien audible, circulant de connaissance en connaissance une coupe de champagne à la main. La progression n'était pas simple dans cet espace exiguë, et il ne faut pas espérer trouver un endroit calme pour apprécier l'œuvre. Je ne connaissais pas toutes les célébrités représentées, mais cela ne gênait pas la compréhension, et peu à peu le tout prit un sens et certains détails se détachèrent. Les couleurs vives me faisaient penser à des vitraux, et Rod Gilbert, avec sa crosse de hockey, me rappelait un évêque tenant sa crosse épiscopale. En somme, on résumait en une seule image la pensée de Warhol, qui faisait des stars les nouveaux saints d’une religion basée sur la consommation.

Je fis part de cette pertinente analyse à une amie qui m’accompagnait, mais elle n’a pas eu l’air impressionnée. En revanche, elle attira mon attention sur la pose particulièrement touchante de Mohammed Ali, figure de la puissance brute voire de l’arrogance, comme pouvait l’illustrer à première vue sa posture agressive. Pourtant, il avait ici quelque chose de touchant et de fragile, plus proche d’un enfant apeuré que du boxeur le plus célèbre de tout le temps. Pelé quant à lui, tenait son ballon comme le grand champion qu’il est tiendrait le monde dans sa paume et Kareem Abdul-Jabbar, partiellement caché derrière son ballon de basket, nous lançait un regard inquiétant et semblait préparer quelque chose.


Mais déjà de nouveaux curieux se pressaient derrière moi et nous avons dû nous écarter, à peine le temps de jeter un œil aux 3 autres sérigraphies de Warhol, concentrée cette fois sur le très célèbre (du moins au Canada) hockeyeur Wayne Gretzky.

Au moins on se tenait chaud - La série sur Wayne Gretzky se trouve au fond.

Je crois l’avoir déjà dit, mais ce musée est particulièrement petit. Le rez-de-chaussée consiste en deux couloirs de 6 ou 7 mètres de long situés à angle droit. Après êtres sortis du premier, je me suis dirigé vers le second, qui présentait des œuvres d’artistes canadiens mêlant eux aussi sport et art, ainsi que d’autres œuvres de Warhol sans rapport avec la série sur les athlètes. Peut-être étais-je victime de l’aura du pape du Pop-Art, mais j’ai moins été emballé par cette seconde partie, peut-être aussi car elle faisait appel à des références canadiennes que je n’avais pas. Néanmoins, il y régnait toujours une délicieuses effervescence, et d’excentriques personnages attiraient l’attention comme une première victoire attirerait les Canucks de Vancouver (j’espère que mon colocataire ne lira pas ça). Je me souviens notamment d’une dame qui, manifestement, s’était pris les pieds dans ses rideaux avant de venir et n’avait pas pris la peine de se changer.


Ne cherchez pas la dame en question - Elle n'est pas sur les photos.

Je suis alors monté au premier étage, pensant terminer la visite avec d’autres tableaux, mais une surprise m’attendait. Au milieu d’une pièce était monté un ring de catch, et disposée tout autour, des photos grandeur nature où des lutteurs bedonnants prenaient des pauses agressives (excusez-moi, j’ai mal épelé "ridicules").



Il s’agissait en réalité du cadre d’une performance, qui ne s’est malheureusement pas déroulée le soir où j’étais là, où des artistes-lutteurs allaient s’affronter dans de terribles combats d’indian leg wrestling (une sorte de bras de fer, mais avec les jambes). Je n’ai pas  trop su quoi penser tellement le concept était étrange, mais j’étais déçu de ne pas avoir pu assister en direct à cette expérience que l'on pouvait qualifier d’incomparable, dans le sens où ce spectacle n'avait probablement aucun équivalent sur Terre. 

A l'heure du départ, mon amie a désigné dans la foule un homme visiblement important, puisqu'il était au centre des attentions d’une dizaine de personnes, et qui s'avérait être le maire de Calgary. C’est donc sur cette note people que s’est terminée ma soirée "Rideaux, culture et champagne".

Acte II - Tigre et Dragon
La communauté asiatique, bien qu’elle ne forme pas un bloc uni et soit en fait une mosaïque de différentes nationalités, représente la plus forte proportion de migrant et fils ou filles de migrants au Canada. La célébration du Nouvel An chinois est par conséquent un évènement particulièrement vivant partout dans le pays et très attendu chaque année par toute la population. Le Nouvel An chinois ne tombe pas en même temps que le Nouvel An de notre calendrier, et surtout varie d’une année sur l’autre. Coup de bol en 2013, il est tombé un dimanche, le 10 février.

Aux alentours de midi, je me rendais donc dans le centre-ville avec quelques amis, mais alors que nous approchions du centre culturel asiatique, nous avons constaté que nous n'étions visiblement pas les seuls à avoir eu envie d'un après-midi culturel. Les petits se pressaient contre les barrières ou tannaient leurs parents pour qu’ils les prennent sur leurs épaules, et de notre côté, il n’était pas facile pour nous de trouver une place. Au milieu de la rue gisait une longue étoffe bariolée entourée d’espèces de grosses pelotes de laine. De longues minutes passèrent, tout le monde se demandant quand cela allait bien pouvoir commencer. Un membre de la sécurité passait devant le public en criant des instructions dans un mégaphone défectueux. Puis tout d’un coup, une magnifique pétarade coupa net la rumeur de la foule et comme par magie, l’étoffe et les pelotes de laine prirent vie.


Alors commença un formidable ballet admirablement chorégraphié. L’étoffe s’avérait être un redoutable dragon, tandis que ce que j’avais pris pour des pelotes de laine était un groupe de lions farouches. Le dragon s’enroulait sur lui-même avec frénésie tandis que les lions rythmaient la danse au son des tambours et des cymbales.




Chorégraphie - Je ne sais pas si vous imaginez la complexité du truc.



Il faut le voir pour le croire, mais j’ai vraiment été impressionné par la vitesse et la précision d’exécution pour un spectacle qui aura duré facilement une demi-heure sans interruption, et c’est sous un tonnerre d’applaudissements que s’est achevée la danse. Peu après, tout le monde s’engouffra dans le centre. Mauvaise idée puisqu’à l’intérieur, nous étions si serrés que nous pouvions à peine avancer. Nous avons alors profité de ces instants d’immobilité pour admirer la superbe décoration du centre.


Après avoir réussi à ressortir, nous avons aperçu un attroupement que nous nous sommes décidés à suivre : c'était deux des lions du spectacle de tout à l’heure. Il faut savoir qu’au-delà d’une simple fête, le Nouvel An chinois a aussi une signification religieuse, et que c’est à cette époque qu’il faut contenter les esprits qui porteront chance (ou pas) aux familles et aux commerces pour le reste de l’année (faut pas déconner avec les esprits, ils sont particulièrement susceptibles). La tradition veut donc que chaque commerce pende devant sa porte une offrande (généralement de l’argent) accompagnée d’un pied de laitue (c’est déjà plus intrigant), symbole de la chance en Asie de par sa couleur verte (ce n’est pas la première fois que la religion fera preuve d’une logique difficile à suivre). Ainsi, tout au long de la journée, les lions, par groupe de deux, doivent sillonner tous les magasins du quartier chinois et, suivant un rituel bien établi, se "battent" pour attraper et manger la laitue (mon sang de biologiste n’a fait qu’un tour devant cette aberration alimentaire). Malgré le faible enjeu, c’est une mise en scène assez impressionnante à voir et d’un niveau sonore à faire pâlir d'envie un concert de death metal (le duo tambour plus cymbale, ça ne pardonne pas).



Tradition et mafia - A l'origine, les danseurs étaient des membres des triades chinoises qui
profitaient de la fête pour récupérer l'impôt chez les commerçants de manière dissimulée.
Comme ils avaient l'air costaud, je n'ai pas osé leur poser la question.

Après trois heures de déambulation, mes amis et moi nous sommes dirigés vers le restaurant le plus proche (asiatique, bien entendu). Mais alors que nous hésitions entre prendre un 37 ou un 52, nous avons soudain entendu le bruit étouffé des cymbales et du tambour monter depuis l’escalier. Et tout à coup, les lions surgirent dans le restaurant, toutes griffes dehors, et se ruèrent sur la salade la plus proche. Imaginez un peu la scène : un groupe de jeunes hilares et plutôt bruyants, accompagnés de deux gigantesques mascottes se battant pour un plant de salade, le tout au milieu d'un restaurant somme toute plutôt cossu, et avec un maître d’hôtel visiblement très partagés entre le respect des traditions et le confort de ses clients (ça nous a personnellement beaucoup fait rire). Mais tout s’est finalement bien passé et la troupe s’en est allée sous les applaudissements nourris de la salle.

Aaaaah ! - Ce fut ma réaction quand j'ai vu ce fauve surgir derrière moi.

Je garde un excellent souvenir de cet après-midi un petit peu particulier, tout d’abord parce que j’ai vu était indéniablement beau (bon d’accord, parfois un peu kitsch). Mais ce qui m’a particulièrement plu, et qui est particulièrement frappant lorsque l'on vient d’Europe, c’est qu’une telle manifestation est le symbole même de la réussite de la politique d’intégration du Canada : la foule était une mosaïque de blancs, de noirs, d’arabes, d’asiatiques, d’indiens, d'autochtones… Et cette diversité se retrouvait également parmi les acteurs et danseurs. Des gens de tous horizons heureux de partager un moment ensemble, non pas pour revendiquer une exception culturelle, mais au contraire par désir de découvrir quelque chose de nouveau, et tout simplement de mieux se connaître.

jeudi 10 janvier 2013

Et pourtaaaant, que la montagne est beeelle...

Au soir du réveillon, j'ai eu une terrible angoisse. Tout allait pourtant pour le mieux : tandis que je sirotais une coupe de champagne californien, les invités les moins éméchés entamaient la cinquième chenille de la soirée pendant que ceux qui avaient trop bu dormaient dehors (-15 °C, pas de quoi enrhumer un caribou). Je papotais dans un anglais approximatif, encore inconscient du danger qui me guettait, quand soudain la personne en face de moi me posa la question suivante : "And you, have you made any New Year's resolutions?". Et là, l'angoisse me prit à la gorge.

En effet, que répondre (et surtout comment ça se dit en anglais déjà) ? Car c'est bien là le problème : je mène une vie absolument saine et équilibrée. Je ne bois pas, je ne me fume pas, je ne me drogue pas, je fais du sport... Les rageux disent que je ne sais pas m'amuser.


Portrait - Une statue datant de l'époque où
j'étais modèle de nu aux Beaux-Arts de Paris

Mais alors que dire ? Qu'est-ce que ma vie avait besoin de changer par-dessus tout ? Ne trouvant pas de réponse satisfaisante, je décidais de détourner l'attention de mon interlocuteur en lui jetant mon verre de champagne au visage (je ne l'aurais pas fini de toute façon), et tandis qu'il tentait d'échapper à l'étreinte acide des bulles sur ses yeux endoloris, j'attrapais mon manteau et le premier bus qui passait. Sur le chemin du retour, au détour d'un virage sur les hauteurs du Nose Hill Park, alors que mon regard bleu acier (si si !) se perdait dans l'horizon, elles m'apparurent : les Montagnes Rocheuses.

Je vous l'avais dit dans le billet précédent, les Montagnes Rocheuses n'ont pas qu'équivalent dans le monde : s'étendant sur près de 5000 km, elles naissent dans le désert du Nouveau-Mexique aux Etats-Unis et finissent dans les glaces du Nord de la Colombie-Britannique au Canada. En Alberta, elles abritent de nombreux parcs naturels et stations de ski (une étape de la Coupe du Monde de ski alpin de 2010 a eu lieu à Lake Louise en Alberta). Quatre mois que je les voyais, ne serait-ce que lorsque que je revenais de l'université, j'étais même parti crapahuter quatre ou cinq fois sur ses chemins sinueux, mais la lumière de l'an nouveau me les faisait redécouvrir. Que n'avais-je plus souvent levé le nez de mes livres d'écologie pour aller mettre en application toutes ces connaissances ? Que n'avais-je plus fréquemment troqué les tours du centre-ville pour les cimes nuageuses du parc de Banff ? Et que n'avais-je une fois ou deux déserté les salles de classes aux néons souffreteux pour les prairies herbeuses et ensoleillées des sommets de Kananaskis où nul Hollandais en short n'a jamais foulé le pied, contrairement à l'élan, qui lui seul sait où trouver le torrent caché où il se désaltérera avant de profiter d'un repos bien mérité aux côtés de l'onde en écoutant le chant des pygargues à tête blanche et des motoneiges. Oui, pourquoi ?!


Ma résolution pour 2013 était toute trouvée : je passerai plus de temps dans les montagnes. Et c'est fort de ce nouvel enthousiasme que je me suis dit que j'allais vous parler d'elles, à défaut de vous parler d'aviation (vous avez saisi la blague ?).

Car comme à mon habitude, j'exagère un tantinet : je me suis quand même déjà baladé dans les Rocheuses, et même plusieurs fois. Ma première vraie découverte à mon arrivée au Canada en septembre était d'ailleurs une petite balade au parc national de Banff. J'étais accompagné pour cette escapade d'un ami que nous appellerons John Dillinger en attendant d'avoir son accord pour divulguer sa véritable identité sur ce blog, un Français établi à Calgary depuis une quinzaine d'années et avec qui j'ai été en contact au moment de préparer mon voyage.

Parc national de Banff - Si vous croyez que c'est facile de faire
de bonnes photos par un temps pareil.

Oui, par un temps pareil, car manque de chance il a plu toute la journée (c'est assez rare pour le souligner d'après John). Ce qui fait que nous avons dû écourter notre excursion, et c'est vraiment dommage vu que le parc de Banff est l'un des plus beaux du coin.

Le lac Moraine - C'est beau même sous la pluie.

Cliquez pour agrandir - Sinon vous ne verrez pas le canoë au loin.

Je ne sais pas si c'est l'émotion de la découverte, mais j'ai vraiment eu du mal lors de cette première sortie. Elle a débuté sur un paisible chemin bordant le lac, où l'on pouvait voir des canoës empilés les uns sur les autres et des chipmunks gambadant entre les pierres (mais si, les petites créatures brailleuses et énervantes dans Alvin et les Chipmunks, et ben c'est eux !).


Chipmunks - Heureusement, celui-ci ne chante pas.

En nous éloignant, nous sommes tombés sur un panneau nous avertissant de la présence de grizzlis dans les parages.

Ceux-là ne viennent pas de Slovénie
(ceci est une private joke).

Au-delà du folklore et de l'exotisme associés à ces bestioles (bien qu'étant moins grosses qu'un ours), les grizzlis sont extrêmement dangereux. Mais mon esprit étant à ce moment-là totalement grisé par la frénésie de la découverte, j'espérais secrètement que nous puissions en apercevoir, mais en m'abstenant sagement d'en faire part à John, qui aurait bien pu décider de me ramener à Calgary sachant le danger que je représentais.

Subitement, après ce début tranquille, nous avons entamé une longue série de lacets bien abrupts et dont nous ne voyions pas la fin tant ils se ressemblaient tous. Peu à peu, la vue se dégagea, les grands conifères laissèrent place à des sortes de bouleaux, qui prenaient une belle couleur dorée à cette époque de l'année, le lac Moraine réapparût entre les arbres, et nous sommes entrés dans un de plateau qui, d'après John, constituait un chemin de douanier entre Calgary et Vancouver (1000 km, c'est un sacré beau chemin). Mais la pluie ne désirant pas s'arrêter, nous avons fait demi-tour.


Sur la route qui nous ramenait à Calgary, j'ai pu constater une fois de plus que le peuple canadien n'est décidément pas un peuple comme les autres.


Vroum vroum - Ça a les dimensions d'un camion, l'allure d'un camion,
les roues d'un camion, mais ce n'est pas un camion.

Ceci est un bus complètement modifié pour lui permettre de rouler sur les glaciers. Oui oui, vous avez bien lu: sur-les-glaciers. D'après John, pour un Canadien, c'est l'équivalent du petit train pour touristes, néanmoins je n'aurais aucune honte à monter dans cet engin qui, il faut l'avouer, après sa transformation avait perdu tout ce qui faisait de lui un bus, cet air pataud et terriblement ennuyeux, pour devenir une espèce de monstre mécanique totalement badass prêt à prendre les cimes les plus inaccessibles d'assaut.

Ainsi s'est achevée cette première sortie, et même la pluie ne m'a empêché de revenir très heureux de cette première confrontation avec le Canada sauvage.

Par la suite, il y eut une ou deux autres excursions dans les Rocheuses, qui, si elles étaient sans nul doute sympathiques, étaient tout de même moins spectaculaires (et puis j'ai aussi un peu oublié de prendre des photos). Je vous propose néanmoins ces deux-là qui devraient faire plaisir à mon paternel.

Contrefaçon - Malgré ses airs de carte postale, ce lac
est complètement artificiel.

Les responsables - La petite installation hydroélectrique à l'origine
du lac présenté au-dessus.

Je vous propose maintenant de faire une ellipse jusqu'à la mi-novembre, quelque par dans la région de Kananaskis.

Ne me demandez pas de la situer, nous sommes partis très tôt le matin et j'ai dormi durant le trajet. Les Indiens Kananaskis ont donné leur nom à ce territoire qui est désormais un parc naturel. On ne compte à l’heure actuelle plus qu'environ 250 habitants pour un secteur grand comme la Haute-Savoie, soit un peu plus de 4000 km² (le Canada, c'est vraiment une autre échelle, je vous en parlerais peut-être dans un prochain billet).

C'est ainsi qu'à peine réveillé, je me retrouve dans le froid, la neige et le vent, à me demander  ce que je pouvais bien avoir dans la tête au moment d'accepter d'aller faire cette foutue balade. Première constatation : c'est beau.

Guerre et paix - Au premier plan, une stèle à la mémoire d'aviateurs morts au cours de leur entraînement pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Si vous faites attention, vous remarquerez de petites taches rouges au-dessus de la plaque commémorative : ce sont des coquelicots (en plastique) que l'on vend le 11 novembre en souvenir de tous les morts de toutes les guerres impliquant le Commonwealth (et pas seulement durant la Première Guerre Mondiale) : c'est le jour du Souvenir (ou Remembrance Day).

Mais au bout de quelques secondes, le baiser sec et glacé du vent sur mes joues délicates de poupon de pub Pampers™ me rappelle à la réalité, d'autant que mes compagnons de route sont déjà prêts. Je suis cette fois accompagné de quelques membres du club de sport en extérieur de l'université de Calgary.


J'en profite pour étrenner un pantalon de marche et des sortes de crampons amovibles que j'ai achetés avec 50% de réduction au Sport Chek du coin (le Décathlon local) grâce à mon colocataire qui y travaille.

Crampons - Ça n'a l'air de rien, mais c'est efficace.

En dehors du froid, le temps avait l'air parfait, ça nous promettait donc une bonne balade. Ce fut alors le grand départ, pour une boucle de 25 km dans la neige fraîchement tombée. La première dizaine de kilomètres, qui s'est passée entre les arbres, était plutôt tranquille car peu pentue, et le chemin avait été déjà bien dégagé par nos prédécesseurs.


Tout à coup, alors que nous nous étions déjà bien élevés au-dessus de la vallée, notre guide bifurqua dans une petite clairière. Et là, Ainsi parlait Zarathoustra en musique de fond n'aurait pas été du luxe, car ce que je vis était tout simplement grandiose (et je maudis mon incapacité à prendre de bonnes photos).

Dans la valléééééééée ! - Au fond se trouve une petite rivière gelée.




C'est au cours de cet instant d'émerveillement que j'ai appris qu'il ne faisait vraisemblablement pas partie de la culture canadienne de connaître le nom des montagnes. Autant un Savoyard de souche pourra nommer tous les cailloux et chemins des Alpes, autant notre guide, qui était pourtant un habitué de la région, n'a pas été capable de me donner le nom d'un seul sommet, et n'avait d'ailleurs pas l'air d'y attacher la moindre importance. Nous avons alors repris notre route, émaillée d'étranges visions ici et là.

Ça ne ressemble à rien - Mais je trouvais ça joli (je me rends compte
maintenant que j'ai peut-être eu tort).

Bois de cervidé - Ils pourraient quand même ranger leurs affaires.

Soudain, je reçus une boule de neige dans la tronche. C'était notre guide qui voulait attirer mon attention : le sommet était tout proche. Et là, alors que nous marchions à l'ombre des grands arbres depuis bientôt trois heures, mais surtout à l'abri du vent, les derniers mètres sur le sommet dégarni se sont fait dans un froid à faire geler le mercure dans son thermomètre, en équilibre sur des plaques de glace bien glissantes.

 Comment je les ai tracés - Oui mais en fait...

...Y'avait encore lui devant - C'est un ancien soldat.
Et allemand en plus, alors faut pas l'emmerder.





Photo de groupe - Je remercie Stephen Harper, premier ministre fédéral
du Canada, pour m'aider à préserver mon identité secrète.

On a vite décarré après la photo car le vent soufflait à décorner un élan.

Après une petite pause casse-croûte, nous avons continué notre périple sur la crête. Notre progression était plus lente à cause du froid mais aussi de la neige, qui alternait entre de la poudreuse dans laquelle on s'enfonçait jusqu'aux genoux et de la pure glace, et là j'étais bien content d'avoir mes crampons à 50%.


Mais perché dans les montagnes, avec les deux vallées de part et d'autre, je me suis rendu compte de quelque chose d'assez inhabituel pour un Français comme moi : 1 - à quel point ce pays est plat, car les Rocheuses et globalement les montagnes ne couvrent qu'une infime partie du Canada (j'avais déjà eu cette impression depuis l'avion) et 2 - à quel point je pouvais voir loin à l'horizon !

Horizon - Essayez de la voir en taille réelle (faites un clic droit sur l'image et cliquez sur "Ouvrir l'image/le lien
dans un nouvel onglet"). Pour que vous vous rendiez bien compte, ces immeubles sont à plus de 100 km de distance.

Nous avons poursuivi pendant quelques kilomètres, puis nous nous sommes aperçus que terminer la boucle nous prendrait trop de temps. Nous avons donc rebroussé chemin, mais nous avions déjà vu la plus belle partie de la balade, c'était donc l'occasion de l’admirer une deuxième fois.

Cette photo n'est pas de moi - Si vous dites qu'elle est meilleure que les autres,
je vais très mal le prendre.

Photo vaguement artistique qui se passe de commentaire


Nous sommes arrivés aux voitures bien fatigués (22 km au final) et bien contents d'en avoir fini, vu que le soleil ne nous avait pas attendus pour se faire la malle. Sur le chemin du retour, mes compagnons de route m'ont fait découvrir un excellent groupe de rock canadien, The Tragically Hip, qui ressemble à du Creedence Clearwater Revival, mais avec un chanteur qui aime bien faire des vibratos comme Eddie Vedder du groupe Pearl Jam.

Bref, voilà le récit (qui ne le fut pas) de mes quelques périples en montagnes. Vous comprenez mieux maintenant mon désir d'y retourner, et j'ose espérer que mes modestes talents littéraires (que j'aime cacher derrière un style faussement recherché) vous ont permis de faire un petit bout de chemin en ma compagnie. S'il y a bien quelque chose à retenir, c'est que ce pays ne manque pas de merveilles, pour peu qu'on connaisse les bonnes personnes.

Pour ma part, j'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce billet qui m'a donné l'occasion de me remémorer ces moments agréables. Croisons les doigts pour que ça me motive pour tenir ce blog avec plus d'assiduité (genre !). A la prochaine !